dimanche 30 novembre 2008

WOMBAT ON THE WAY

WOMBAT ON THE WAY
Bienvenue dans les univers parallèles du Doctor Dream pour de nouvelles folles aventures à faire passer les délires psychédéliques les plus fous pour du pipi balladurien.Depuis The English Channel, Chadbourne expérimente en laboratoires les possibilités du collage et des superpositions multicouches de bandes, jouant des associations surréalistes comme autant de bombes à fragmentation du mental, avec un à propos et une virtuosité dignes d'un John Oswald ou de Stock Hausen & Walkman. Effets d'échos, jeux de miroirs, changements de vitesse, bric et broc de samples, fragments de concerts, stridences électriques et insertions de guitares sauvages formant des concrétions quasi lysergiques ; ses montages bricolés jouissent d'une indéniable puissance onirique à vous retourner les neurones. Mêmes les chansons subissent un traitement particulier, bourré de réverbération déformante et de décalages schizophréniques (Cf «Wich one is me ?»). Wombat est peut être l'œuvre d'un aliéné irrécupérable mais sans conteste un trip hallucinatoire garanti sans consommation de substances illicites !
Emmanuel Girard
Il faut croire que, dans l'oeuvre au noir de messire Chadbourne, tout ce qui porte le nom “...on the way” est voué à repousser les limites de la folie: Pee Wee on the way, Dinosaur on the way, et, prévu dans les futures parutions de House of Chadula, un disque au titre effarant de promesses: Muppet on the way. Avec Wombat on the way, le doc chad publie l'album idéal pour se faire interner. Enorme délire à base de collages, de guitares hendrixiennes avec des distorsions gigantesques, de petites voix débiles sous hélium, Wombat tient son rang dans la catégorie: expériences vraiment monstrueuses. A noter: le Wombat est une petite créature vraiment adorable, un marsupial australien qui tient presque de la peluche. Ici, le Wombat prend des proportions alarmantes et se rapproche parfois ( Chad est fan de films d'horreur) du sympathique sanglier chercheur de truffes de Razorback.
Arnaud Le Gouëfflec

jeudi 27 novembre 2008

BUFFALO CHAD


STRINGS - 1993

STRINGS MY NEW LIFE #35
1993 - Intakt Cd 025
The Shreeve (EC) / Coltrane Medley (John Coltrane) / Adagio Blanco-Hassen (EC) / Inscription Atop Pula Coliseum (EC) / Screw KKK (EC) / Monk's Mood (T Monk) / Spider's House (EC) / Tenor Madness (Sonny Rollins) Upper Manhatten Medical Group (Billy Straynorn) / Daydream (Duke Ellington) / Primera causa della rupturo Centazzo (EC) / Stay on the Case (EC) / Goodbye Pork-Pie Hat (Charles Mingus) / Derelody (EC).
EC : guitars, dobro, banjo and noise


Issu des mêmes sessions d'enregistrement solo que Songs. Strings rend hommage aux grands maîtres du Jazz qui ont bercé sa jeunesse et transmis à Eugene le souffle de leur liberté : Ellington, Mingus, Monk, Rollins, Roland Kirk ; l'album étant dédié à Charles Tyler. Il abandonne ici le chant pour s'adonner pleinement à sa pratique instrumentale. Passant avec bonheur de la furie iconoclaste (Screw KKK ; The Shreeve, un de ses morceaux les plus fulgurants !) à la belle introspection d'un Monk's Mood ou de Daydream, il imagine les Byrds en ballade psychédélique beebop (Spiders House), Coltrane en départ Bluegrass ou Country ! (Coltrane Medley) ou rappelle l'époque Parachute avec Zorn ou Centazzo (Primera causa della rupturo Centazzo fait penser à la respiration si particulière des improvisations sur le fil de Pool, Hockey ou Archery) le tout dopée d'une virtuosité époustouflante. Une exploration musicale et un flux hérités du free jazz qui trouvent un équilibre entre rigueur et fantaisie, en puisant dans les formes ou les racines du folklore populaire, évoquant entre autres les démarches d'un Willem Breuker, d'un Albert Ayler ou de l'Art Ensemble of Chicago. Etonnante interprétation de Goodbye Pork Pie Hat (composition de Mingus à la mémoire de Lester Young) qu'il fait sienne tout en gardant la pudeur et la tendresse de la version originale. Dernier morceau dédié à Derek Bailey, sous forme de charmantes mélodies ponctuées de quelques frottements et dérapages bruitistes et aussi d'accords typiques du guitariste anglais. On notera par ailleurs le clin d'œil à Anthony Braxton par l'inclusion de schémas graphiques illustrant certaines « compositions ». Au final un album d'une richesse incroyable et bon candidat à l'île déserte. Emmanuel Girard










BIKER MUSIC FROM SOUTHEAST CAMBODIA - 1985

Eugene Chadbourne dans une de ses expériences les plus sauvages. Ce disque est une merveilleuse divagation balinaise (car après tout, que ce soit le Cambodge ou Bali importe peu ici): petits sons évoquant (de loin) les gamelans et les fascinantes percussions de l'extrême-orient, qu'Eugene a trouvé dans sa guitare ou dans son dobro, ou dans son banjo, en pinçant les cordes d'une manière inédite, en y puisant des sons cristallins, vaguement exotiques, qu'il a ensuite développés, en multipistes, réenregistrant sa voix par-dessus en modifiant la vitesse de la bande pour obtenir une petite voix cambodgienne de dessin-animé (car c'est bien d'un Cambodge de cartoon dont il est ici question), se fendant même de quelques parties de casio, improvisant sur des boîtes à rythmes cheap, etc... Le disque s'ouvre avec deux morceaux improvisés en compagnie de Joee Conroy (un psaltérion irrésistiblement cambodgien, de la harpe et du koto, l'instrument traditionnel des bikers), David Silley (instruments à hanche et autres flûtes de roseaux embouchées à la sauvage), et Robin James (platines, cassettes exotiques), patchwork de cambodgeries toutes plus biky les unes que les autres (je n'arrive pas à retrouver le morceau de guitare hawaïenne qui déboule à un moment, vraisemblablement déclenché par Robin James, et qui rajoute un peu d'Hawaï dans tout cet Extrême Orient fait à la main - morceau qu'on retrouve compressé, accéléré plus loin, comme si on avait compressé les îles Sandwich pour en faire un panini) puis Eugene reprend Isolation de Lennon à la guitare sèche (pourquoi?), avant que tout bascule à nouveau dans l'effroyable et le réjouissant. Un gamelan lo-fi punk à base de collages de cerveaux. Un des musts du Docteur dans la catégorie frappé/mâché/explosé/miraculeusement restitué, à rapprocher du somptueux/infâme Dinosaur on the way, ou Fuck the audio evolution network (quelle profession de foi!).
Arnaud Le Gouëfflec

mercredi 26 novembre 2008

WORMS WITH STRINGS

George Cremaschi (bass), Brent Dunn (bass), Bob Jordan (tapes, objects, etc.), Carla Kihlstedt (violin), Barry Mitterhof (mandolin), Ted Reichman (accordion, piano), Brian Ritchie (bass guitar, etc.), Charles Rosina (tapes and effects), Leslie Ross (bassoon), Rik Rue (tapes), Carrie Shull (oboe) and Tony Trischka (banjo)
Tracklisting :

1. Dragonfly/Trichinela Spiralis/Prelude to Wild Mountain Thyme /Los2. Loa Loa3. Strongyloides Stercoralis4. Wucheria Bancrofti/Post Power Mover Grasshopper5. Song for My Ant Lion6. Ancyclostoma Brazilense7. Nectaur Americuanun/Ancyclostoma Diodinae8. The Waterstriders9. Enroachment10. Prelude to Gromphado/Gromphado

Eugene Chadbourne dans ses oeuvres insectophiles, ou insecticides, ça dépend du point de vue: tous les titres ici parlent de bestioles, et celles-ci sont brossées à grands traits, soit par Eugene Chadbourne lui-même en multipistes, soit par le petit orchestre qui l'accompagne ici et là sur des pièces orchestrales très fines, ou le sens du gag et de la dérision chadbournien côtoie et télescope les finesses orchestrales des autres (du violon qui déploie ses ailes au piano qui se déploie lui-même, tandis que crépitent le dobro et le banjo du Docteur, et qu'un être électronique cheap fait des bulles au fon du bassin). Un disque en forme de jardin, peuplé mais pas trop (il reste de l'espace pour gambader), d'une haute qualité méditative, qui prend l'auditeur et l'entraîne dans des complexités de mandibules, d'abdomens et d'yeux à facettes: une musique vibratoire, vibratile, vibraphone.

Arnaud Le Gouëfflec

mardi 25 novembre 2008

A DIRECT THREAT TO THE AMERICAN WAY OF LIFE



THE ENGLISH CHANNEL

1978 - Parachute P-00? House of Chadula #1978A
Musicians from NY performance, 1978 :Fred Frith : electric guitar - Davey Williams : acoustic and electric guitar - Bob Ostertag : Serge synthesizer - Steve Beresford : piano, euphonium, toys - Thoshinori Kondo : trumpet, euphonium - Lesli Dalaba : trumpet - Mark Kramer : cheap organ, trombone - Charles Ver Straeten : trombone - Wayne Horvitz : keyboard, harmonica, acoustic bass - Evan Gallagher: keyboard, percussion - John Zorn : alto and soprano sax, Bb clarinet - Polly Bradfield : violin - La Donna Smith : violin and viola - Jim Katzin : violin - Tom Corra : cello - Andrea Centazzo : percussion
Musicians from Greensboro, 1981 : David Licht : drums - Dennis Licht : percussion - Shep The Hep : bass - Steve Amowitz : percussion - David Nikias : percussion, specimen jars - Garry Collins : drum set - Seth Dworkin : synthesizer - Byron Haskins : synthesizer - Geoff Fliolo : clarinet - Marian Wilson : oboe - Gil Fray: clarinet, alto sax, voice - Doug Baker : guitar - Deborah Ibrahim : violin - Amanda Masson : violin - John Pasquini : violin - David Doyle : French horn, classical guitar - Doctor Chadbourne : everything else.

Après ses premiers essais dans la tradition free européenne et son travail avec Zorn, Chadbourne explose littéralement dans cette pièce « orchestrale » folle qui constitue un nouveau départ et ouvre de nouvelles perspectives annonçant les projets à venir. Explorant les joies du collage et du bidouillage foutraque pour former une gigantesque fresque délirante, le bon docteur nous donne toutes les raisons de douter de sa santé mentale en nous présentant un laboratoire d’expériences qui semble mettre en scène ses fantasmes de musique totale, affranchie des limites de genres et de la bienséance.Le principe de la composition, basé sur la juxtaposition et le télescopage de multiples sources sonores, permet toutes les combinaisons possibles et offre un terrain de jeu sans limites, comme une sorte d’illustration de la théorie du chaos. La pièce est une longue séquence linéaire au découpage frénétique qui produits des effets de contrastes, de surprises et de pied de nez tout bonnement hilarants, suivant un processus de prolifération et de multiplication infinie des événements, comme sous l’effet d’un virus dévastateur, la suite n’ayant véritablement ni début ni fin. Ce sont tous les styles musicaux (toutes les sensibilités et donc toutes les cultures) qui sont conviés et interagissent, chaque source, quelque soit son origine, étant mise sur le même plan, sans hiérarchie de valeur. A titre d’exemple : vieux disques de jazz, musiques et extraits de films, programmes radio, bandes son de cartoon, fragments de concert, chansonnette, impros free, flon flon d’accordéon, bruitages divers, psychobilly, vieux airs folkloriques, hard bop, bandes accélérées, etc. Chadbourne, à partir de ce projet, n’aura d’ailleurs de cesse de passer avec bonheur d’un genre à l’autre. On pourra trouver que l’orchestre des « 2000 Statues », regroupant la crème des improvisateurs new-yorkais de l’époque, reste malgré tout sous exploité et quelques peu noyé dans l’ensemble, mais la moulinette du chef d’orchestre opère un tel découpage qu’il n’est pas laissé de place aux longs développements orchestraux ou solistes habituels. On pense forcément aux futures pièces de John Zorn (les Game Pieces de Cobra ou les montages de Spillane et Godard) qui malgré leur force et leur concision, semblent être des rejetons policés ou édulcorés de The English Channel. L’idée de collage surréaliste n’est certes pas nouvelle (la fameuse « rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ») mais l’œuvre dégage une telle frénésie et une telle richesse qu’elle emporte l’adhésion de l’auditeur courageux qui aura fait l’effort de tenir la distance. Car si la plongée dans ce maelström musical est certes passionnante, elle pourra être vécue comme une épreuve difficile y compris pour les oreilles habituées aux expériences extrêmes, même si l’on est loin d’atteindre les ravages d’un lavage de cerveau à la Merzbow. The English Channel est un bouillon de culture qui nourrit encore l’esprit et la pratique de Chadbourne aujourd’hui, c’est pourquoi son écoute est indispensable pour quiconque voulant prendre toute la (dé)mesure du bonhomme. Créée à l’origine en 1978, la pièce a été retravaillée longuement et de nouvelles versions sont sorties en cassettes. La récente édition sur CD-R, essentiellement un mix du lp d’origine et d’un concert à Greensboro de 1981, est considérée par son propre créateur comme la version définitive.
Emmanuel Girard


dimanche 16 novembre 2008

VISION EASE (1977)


VISION EASE
House of Chadula #1977C

Initials / Return to Romance / False Starts / The Shreeve / The Fling / Missing Persons / Lightning's Hopkins / Misty, I know you're misty / 4 winds (Dave Holland) / Noonah (Roscoe Mitchell) Ramblin (Ornette Coleman) / Solitude (Duke Ellington) / Duet / The Viaduct / Welcome West / The Double AA

EC : acoustic and electric guitar, dobro/Polly Bradfield : acoustic & electric violin/LaDonna Smith : viola/Bruce Ackley : soprano sax,Bb clarinet/John Zorn : alto & soprano sax, Bb clarinet/Henry Kaiser : electric guitar/Davey Williams : banjo

Un aperçu des compositions enregistrées durant la période 77-78, ces bandes étant apparemment parmi les rares à avoir survécu. Si la plupart des morceaux figuraient déjà sur la première galette du double album School (partagé avec John Zorn), cette édition a le mérite de nous offrir quelques pièces inédites ou seulement sorties de manière confidentielle sur cassettes (voir également la compilation Materiali Sonori Eugene Chadbourne / John Zorn 1977-1981).
Bien que l'écoute soit gâchée par une qualité sonore qui oscille entre l'épouvantable et le médiocre, il ne faut surtout pas bouder ces enregistrements « historiques » de nos futures "stars", alors en pleine effervescence créative tant dans l'écriture que dans leur pratique instrumentale, même si leurs plus beaux excès restent à venir. Sous des aspects parfois aléatoires ou bordéliques se cache une logique de construction et une rigueur presque classique. Les «compositions » en question constituent plutôt des schémas directeurs qui laissent une grande marge d'actions aux protagonistes, très appliqués et concentrés même dans les moments les plus débridés. C'est que la fine équipe a parfaitement acquis et intégré l'idiome du free jazz et maîtrise l'art équilibriste, préférant la liberté et l'enjeu d'un terrain à construire plutôt que la répétition de thèmes imposés.
Parmi les meilleurs moments on notera un duo avec Zorn alternant longues plages mystérieuses taillées dans le silence et moments d'emportements décapants. Welcome West est une pièce passionnante et fascinante d'économie de moyens (dommage qu'il n'existe pas plus d'enregistrements de ce trio - les « 300 statues » - et qu'on ait pas plus entendu parler de l'extraordinaire Polly Bradfield). La belle et longue version de Solitude prouve que Chadbourne n'est pas qu'un amuseur mais à l'occasion un jazzman inspiré et pudique. Enfin l'album contient aussi quelques pièces de guitare dans la veine des premiers guitar solos.
Emmanuel Girard

Vision-ease a la saveur du cahier de brouillon en papier remâché et à demi-digéré. Les compositions ciselées et diaboliquement assemblées (présence de John Zorn, Polly Bradfield, Henry Kaiser, entre autres forcenés) sont ici servies dans une sauce lo-fi authentique, avec clicks et clouncs de rigueur: la poésie mécanique de la cassette audio, en somme, et il est remarquable qu'Eugene Chadbourne n'ait pas jugé utile de nettoyer la bande de ces réjouissantes rustines. Par moments, le son est si velu qu'il en est effrayant. Force est de constater que Chadbourne se révèle ici précurseur absolu de la lo-fi (les enregistrements datent tous de 1977-1978), mouvement qui fera bientôt de la "tape madness" une maladie à la mode (et d'ailleurs davantage associé à la pop et au rock qu'au monde de la musique improvisée). Quant aux morceaux, c'est bien tout le contraire. Des miniatures infernales, qui donnent l'illusion du chaos, mais sont réglées avec une minutie d'horloger, et semées de déflagrations délicates, de délicatesses soigneusement broyées, des stridences mathématiques. C'est bien d'un travail de composition dont il s'agit, et l'improvisation découle des structures non-euclidiennes réglées par le docteur, un peu, selon le mot de François Couture, comme sil essayait "d'écrire ce que Derek Bailey improvisait"... Sous le prétexte chadbournien qu'il n'existe pas d'autres traces sonores du travail de cette époque, le bon docteur nous livre un chaud et froid fascinant, mélange de sérieux (le travail de composition) et de délire total (ces clicks et ces clouncs, et ce souffle à décorner les boeufs). Et c'est précisément dans ce paradoxe que réside le principe actif de sa médecine.
Arnaud Le Gouëfflec

mercredi 12 novembre 2008

THE JACK AND JIM SHOW - LOCKED IN A DUTCH COFFEE SHOP

LOCKED IN A DUTCH COFFEESHOP (The Jack & Jim Show)
1993 - Fundamental - Hymn 2
House of Chadula #1993A

EC : guitar, banjo, vocal/JCB : drums, voice/+Don Preston : keyboards and voice/Ashwin Batish : sitar/Chris Turner : harmonica/Brian Ritchie : wood flute/Tony Thrischka : banjo/Murray Reams : percussion

Dropped Another Needle (EC) / Big Boss Man (Reed) / B.Y.O.B Klub (EC) / Captain Beefheart Medley : Neon Meate Dream of an Octafish - Sheriff of Hong Kong - The Blimp / The Umbrella (EC/JCK) / Expense Account Meeting (EC) / Call to Opal (EC/JCB) / Que Paso ? (Meyers) / Dawn of the Living Dread (EC/Black Uhuru) / Colorado Kool-Aid (Paycheck) / Fresh Garbage (Fergusson/California) / Le Hippie Dog (EC) / Ethnic Cleansing (EC) / CryBaby Umbrella (EC/JCB).

Ce qui aurait pu apparaître comme une récréation passagère et gentiment régressive marque en fait le début d'une longue collaboration et d'une importante production discographique, pour ce qui constitue un des projets les plus marquants de Chadbourne. Dans le rôle du batteur (faussement) stupide : « l'indien du groupe » Jimmy Carl Black, tendance Hippie Dog, surtout connu en tant que membre des Mothers of Invention de la grande époque, croise logiquement la route du guitar-hero surréaliste, grand admirateur de Zappa et Captain Beefheart. Le duo use de la traditionnelle formule banjo/guitare-batterie, redécouvrant la magie du binaire qui vous prend aux tripes et porte en apesanteur. Tempos métronomiques haletants, changements rythmiques inattendus, folles parties de guitare vertigineuses et diaboliques de précisions (solo de Byob Club), tension toujours maintenue : beaucoup de morceaux imparables (Dropped Another Needle, Fresh Garbage) d'une musique terriblement excitante. Le jeu basique mais redoutablement efficace de Jimmy Carl Black forme un tremplin idéal aux envolées de Chadbourne, qui réunit mieux que jamais énergie du jeu et intelligence de l'inspiration. Derrière la bonne humeur s'affiche toujours une conscience politique et sociale, qui reste une de ses marques distinctives. Ainsi le bouleversant Ethnic Cleansing (sommet du disque) démarrant par un chant indien qui fait suite à un magnifique et troublant enchaînement avec Hippie Dog. A noter la présence d'une longue pièce jouée en groupe et complètement décalée dans le contexte (NeonMeate Dream of an Octafish) mais qui finalement apporte une respiration bienvenue dans l'ensemble. Locked est plus qu'une collection de morceaux live assemblés à la va-vite, mais un véritable album construit, avec des enchaînements réfléchis (cf. changement de version dans Night of The Living Dread), peut-être le meilleur titre de la série des Jack & Jim Show (avec Uncle Jimmy's Master Plan) en tout cas un des plus accrocheurs. Rendez-vous dans ce Coffeeshop, une bonne adresse qui vend de la marchandise de qualité...
Emmanuel Girard

La grande question est: que font ces deux individus dans ce coffee shop hollandais, et qui les y a enfermés? On sent qu'il s'agit d'une affaire de la plus haute importance. Le Jack and Jim Show, dont c'est ici la première apparition discographique, se présente volontiers comme un duo primitif batterie/guitare, ou batterie/banjo, déclinant des chansons tantôt originales, tantôt puisées dans le catalogue hérissé de Captain Beefheart (que Jimmy Carl Black accompagna à une époque) et Zappa (dont il fut la batteur, avant que Zappa ne tourne la page des premiers mothers, juste après Uncle meat). Le tout est solidement charpenté de blagues, de mots d'esprit, de déclarations énigmatiques, et dérape parfois dans le collage surréalisme, comme sur certaines pièces de Pachuco cadaver, le disque suivant, ou dans le happening hilarant, comme ici dans Call to opal, où Chadbourne et Jimmy Carl papotent sur scène au téléphone. Locked in a dutch coffee shop alterne donc protest songs chadbourniennes (Dropped another needle) dévidées sur le tempo indéboulonnable de Jimmy Carl Black, du blues (reprise de Big boss man, chanté par the indian of the group de sa voix de caverne), et des choses nettement plus indéfinissables, comme ce Captain Beefheart medley, qui commence par un envoûtant dialogue Sitar/piano (NeonMate dream of an octafish). Sur Byob klub, Chadbourne déflagre un de ces solos barbelés dont il a le secret. Et sur Kep Pa so, la bonne humeur et la joie communicative des deux complices devient simplement irrésistible.
Arnaud Le Gouëfflec

mardi 11 novembre 2008

Interlude: IT'S THE RRRRRAKE!!!

MOTORHELLINGTON - with ZU (2001)


MOTORHELLINGTON

Felmay

2001- St Peter Keys Studio, Rome, Italy.

Iron Man (Iommi/Osbourne/Butler/Ward / The Robots (Hutter/Schneider) / Chain of Fools (Don Convay) / Boogie Stop Shuffle (Charles Mingus) / Corcovado (Jobim) / Pushin' To Hard (Sky Saxon) / Sex Machine (Brown/Byrd/Lenoff) / Sacrifice (Motorhead).

Doc. Eugene Chadbourne : electric rake, voice, guitar, gnocchi power/Jacopo Battaglia : large pieces of woods with skins on/Luca Thomas May : an Adolph Sax idea, throat/Roy Paci : trumpet of apocalypse, various voices/Massimo Pupillo : a piece of wood with 4 strings on

Deuxième album avec le groupe italien de punkjazzprog Zu (connu aussi pour ses collaborations avec Dälek, the Melvins, Mike Patton, Mats Gustafsson – mention spéciale pour leur titre Tom Araya is our Elvis - Tom Araya est le chanteur/bassiste de Slayer). Motorhellington est un disque de rock garage, et pas seulement parce que les musiciens y reprennent Pushin' too hard des Seeds (un des hymnes absolus du genre, servi ici dans une sauce pure garage, avec déflagrations de solos crépitants): ils y saccagent avec une fougue juvénile (Chadbourne a tout de même 47 ans à l'époque, mais je veux parler de cette monstrueuse énergie adolescente de teenage caveman qui électrifie la série Back from the grave et, pire, les ténébreuses compilations Boulders, qui sont au rock garage ce que l'Encyclopédie de d'Alembert est à tout le reste)- ils y saccagent donc à l'adolescente des hymnes aussi boursouflés que le Iron Man de Black Sabbath, Sacrifice de Motorhead, et quelques tueries éternelles comme Sex Machine. Sur la pochette, Chadbourne prouve qu'il aurait fait un excellent Lemmy. A noter, hasard ou pure synchronicité, que c'est précisément à Boulder (Colorado) qu'il a grandi.
Arnaud Le Gouëfflec

Une fois de plus Chadbourne pervertit la jeunesse en fricotant avec des sauvageons punk excités (après Turboneggro, Jad Fair, les années Shockabilly). Leur première collaboration était entièrement improvisée (The Zu Side), celle-ci pioche dans des standards rodés pendant la tournée qui a précédé la mise en boite de l'album, plus accessible et plus accrocheur pour cause de thèmes reconnaissables et empruntés à des genres a priori opposés (de Motorhead à Jobim !) avec un évident plaisir pervers. Que penser de ces types, rois du grand écart, qui passent sans vergogne et avec une souplesse féline, de l'artillerie lourde (rythmique super plombée et dévastatrice de The Robots) aux flottements brumeux d'un délicieux Corvocano, moment de calme avant la tempête de Pushin' Too Hard au crescendo aussi intense que la version live des Seeds.

Zu + Chadbourne c'est à la fois l'association illégitime entre Lemmy et Ornette Coleman, une machine infernale et dopée (« Zu : boyband from hell »), un workshop fidèle à l'esprit de Mingus (entre les cuivres free de Iron Man et l'urgence de Boogie Stop Shuffle), des gros bœufs malins et sensibles, trop doués pour être vulgaires, des sales gosses qui s'amusent à reprendre Sex Machine au râteau électrique (avec changement des paroles, citation de la panthère rose, bidouillages électroniques, souffleurs brûlants) sans perdre le groove d'origine.

La pochette parodie l'imagerie satanique et grand guignol des groupes de métal jusqu'au cauchemar le plus barbare (livret intérieur à déconseiller même aux âmes les plus insensibles !) qui pousse le voyeurisme jusqu'à l'écœurement total mais présenté avec « humour » (« Parental advisory : explicit gnocchi recipes », les illustrations de hachoir à viande et de pin-up) dépassant les limites de l'incorrect. De quoi laisser pour le moins sceptique sinon scandalisé. Un drôle d'objet qui risque de sonner trop hard aux oreilles des amateurs de jazz et trop jazz pour les fans de métal, mais une réussite indéniable tout de même, hachoirement parlant.

Emmanuel Girard


dimanche 9 novembre 2008

INSECT ATTRACTER (1997)

INSECT ATTRACTER Leo Cd LR 256 - 1998
Mourning of The Praying Mantis / Termite Damage / The Cricket in My Life / The Swat / The Cricket in My Life.
EC : acoustic and electric guitars, 5-string banjo, bass banjo, electric bass, electric toaster, casio rap man, heevix jam master, electric ladybug, personal effects/Carrie Shull : oboe/Brian Ritchie : acoustic bass, shakuhachi, didjeridoo, maroccan bugle, home made clarinet/Misha Feigin : balalaika/Joee Conroy : violin/Carrie Biolo : vibraphone/Charles Waters : soprano & alto sax, bass and Bb clarinets, casio genius box/Steve Good : clarinet/Bob Stagner : drums, percussion/Bruce Wagner : mandolin/Brent Dunn : contrabass/Tom Heasley : tuba/Ashley Adams : contrabass/Gino Robair : percussion, mandolin/Dan Plonsey : clarinet, alto and soprano sax/Bunk Gardner : flute/Barry Mitterhof : mandolin, tenor banjo/Ted Reichman : accordion, piano/Denis Palmer : cheap electronics, synthesizer made by someone's father, casio rap man/Leslie Ross: bassoon and shawm/Alex Ward : Bb clarinet and alto sax/Pat Thomas : piano and bargain electronics/Paul Lovens : selected drums and cymbals, Stradivarius saw/Tony Trischka : 5-string banjo
Chadbourne présente un nouveau concept de compositions basées sur le thème des insectes, comme une allégorie de notre monde au travers de l'univers de ces charmantes bestioles souvent effrayantes lorsqu'on s'aventure à les observer de plus près. Insect Attracter marque le lancement d'une série importante qui voit défiler un grand nombre de musiciens pour la plupart déjà familiers des expériences du docteur.
Chaque morceau est un extrait de pièces beaucoup plus longues, jouées ici en live, tel Termite Damage qui représente près de 80 pages de partitions pour une durée approchant les 2 heures. Une fois de plus les compositions indiquent des directions et offrent un cadre largement ouvert à l'improvisation et à l'imagination des participants. Insect and Western est un work in progress qui se décline selon la formule instrumentale et selon le thème choisi, où l'emploi et la référence des genres musicaux (« a major work in progress for symphony orchestra, Balinese gamelan and high school jazz stage band") importent moins que la situation des groupes sujets à une logique comportementale, chargés de recréer les ambiances imaginées dans l'esprit malade de Chadbourne. Une musique peu aimable, dont la première écoute est déstabilisante mais qui révèle progressivement sa cohérence, pour peu qu'on ne soit pas allergique aux attaques aliens ou dégoutés par ces visions parfois écoeurantes d'un monde chaotique. Ainsi The Mourning of The Praying Mantis (la mante religieuse) distille lentement un climat fantastique sinistre et nauséeux, par touches successives qui forment les prémices d'un événement tragique. Place ensuite à la fête orgiaque des termites qui ravagent tout sur leur passage de manière incontrôlable, grâce aux allumés surdoués de Shaking Ray Levis (Bob Stagner et Denis Palmer, dynamiteurs du fameux Boss Wich, qu'on retrouve aussi sur l'album complet consacré à Termite Damage, sur House of Chadula), des types en surrégime créatif capable de pondre 50 idées géniales à la minute au point de faire de l'ombre à leurs camarades. A quoi peut bien ressembler la partition de cette auberge espagnole qui vire à la tuerie d'un zapping de jeux vidéos ?
En comparaison les crickets, représenté par l'ensemble d'Hellington Country, se montrent moins excités bien qu'aussi voraces, dans une belle pièce improvisée et très maîtrisée ou se distinguent les circonvolutions savantes des souffleurs. The Swat évoque le jeu de cache-cache entre le chasseur à tapette et sa proie vaguement consciente du danger, sous forme de course poursuite rythmée en une succession de mouvements et d'arrêts. Retour enfin à l'agitation des crickets en compagnie cette fois d'un autre groupe, qu'on peine à cerner dans une interprétation confuse qui forme la pièce la plus faible d'un l'album néanmoins brillant.

Emmanuel Girard

samedi 8 novembre 2008

vendredi 7 novembre 2008

PACHUCO CADAVER (1995)


Un recueil dédié à Don Van Vliet, alias Captain Beefheart, manifestement une des grandes influences de Chadbourne.
Pachuco Cadaver n'est pas vraiment à proprement parler un album du Jack and Jim Show mais en grande partie une suite de pièces orchestrales plus ou moins reconstruites par le montage des bandes, une pratique courante depuis The English Channel (cf le morceau éponyme, ou l'on baigne en pleine folie). Préférence est donnée aux longs morceaux instrumentaux, avec la participation de divers invités qui élargissent les perspectives et viennent enrichir la base musicale du duo, d'ordinaire axée sur de simples reprises chantées.
C'est bien sûr le Beefheart radical et hallucinant de Trout Mask Replica, plutôt que le créateur mainstream assagi de Bluejeans and Moonbeams, qui est à la source de ces cadavres particulièrement exquis, décomposés en hommage à la folie du peintre musicien et son étrange Magic Band, mélange de rugosité free rock et de sophistication psychédélique décalée et souvent inquiétante. (Cf le multirecording de Clear Spot ou Pachuco Cadaver, le bordel acide de Veteran's Day Poppy qui pourrait faire penser à la rencontre d'Henry Cow avec le Velvet de White Light White Heat !). Comme un peu de jus de fruit après trop d'alcool, le disque s'achève par une sobre et superbe version de The Dust Blow Back, où la batterie dépouillée de Black fait merveille.
Au final un album moins pêchu et concis que le premier opus, mais une musique plus aventureuse qui devrait ravir les fans du capitaine.
L'édition originale comporte un petit livret dessiné par Chadbourne qui résume son rapport à Beefheart et évoque quelques anecdotes racontées par Jimmy Carl Black, relatifs notamment aux rapports conflictuels entre Zappa et Beefheart lors des sessions du fameux Trout Mask Replica.
Emmanuel Girard

Captain Beefheart le disait lui-même: il ne faisait pas des chansons, mais des "monstres". Monstres particulièrement velus, donc, sur Trout Mask Replica, ce disque plein de créatures inédites enregistré grâce à (et parfois contre) Frank Zappa, qui voulait permettre au Capitaine de graver ce qu'il avait vraiment dans le coeur. Et le résultat a décoiffé bien des scalps. Eugene Chadbourne, entre autres, a sûrement connu un des chocs de sa vie à l'écoute de ce bazar pluridimensionnel et non euclidien, et s'en est souvenu sur ce disque-hommage, réalisé avec Jimmy Carl Black le magnifique, ex-mothers de Zappa, donc, et ex-Magic band de Captain Beefheart (il y fit un bref passage) et quelques invités. Après quelques titres pur Jack and Jim (un duo batterie-banjo), le disque vire à l'inquiétant et à l'onirique (ce qui chez Beeefheart revient au même) et s'effiloche avec jubilation sur Clear spot, Veteran's day poppy ou Chasing the captain Jack, patchwork de bandes collées, rapiécées, de morceaux assemblés comme les membres d'une créature à-la-Frankenstein ("Je fais des monstres") traversés de voix pitchées dans les graves, qui évoquent irrésistiblement le beau bazar du rock satanique, des ses syllabes inversées, de ses messages cachés. Il paraît que dans certaines serres, on passe de la musique aux plantes, pour qu'elles se développent plus harmonieusement. N'oublions pas que, lors des sessions de Trout Mask Replica, quelqu'un était payé pour mesurer la souffrance des arbres autour du studio.
Arnaud Le Gouëfflec