samedi 17 avril 2010

JUNGLE COOKIES


JUNGLE COOKIES
Old Gold - 1998

Debut To Madonna (EC/Molly Chadbourne) / Haringpakker Steeg 3 A.M. (EC) / Haringpakker Steeg 4 A.M. (EC) / Hallelujah I’m a Bum-Gambling (EC/Lizzie Chadbourne) / Haringparker Steeg Friday Night Honky-Tonkin’ (EC) / Medley : Rhooba’s Train/All Over This World (Scruggs/Trischka/EC/traditional) / Haringpakker Steeg Saturday 6 P.M. (EC) / Haringpakker Steeg Saturday Night Boogie (EC) / See Emily Play (Syd Barrett) / Medley : Haringpakker Steeg Saturday NightBoogie/We’ll Be Together Again/Joey (EC) / Invitation To A Jam Session (EC) / Haringpakker Sunday 1 P.M. (EC) / Haringparker Steeg Sunday Night Honky-Tonkin’ (EC) / Speed Ecstasy Does Not Exist (EC) / Haringparker Steeg Midnight New Years (EC).

EC : tapes, banjo, acoustic guitar, electric guitars, electric rake, electric plunger, electric porthole, electric toaster, electric pencil sharpener, prepared piano, drums, records, buried Sammy Davis Jr. cd, Stockausen skip, Hendric cd with laser screwded up with Q tip
Tony Trischka : banjo
Volcmar Vercerk : banjo
Try Spencer Kimber : guitar, keyboards, tapes, vocal, voices, wah guitar
Grandpa Kimber : voices, dropping pieces of steel
Dan Plonsey : alto and soprano sax, clarinet, multi overdubs
Walter Malli : soprano and alto sax, multi overdubs
Rob Mallard : tenor sax
Luc Houtkamp : tenor sax
Molly and Lizzie Chadbourne : vocals
...

Durant ses séjours réguliers à Amsterdam, étape privilégiée de ses tournées européennes, Chadbourne s’intéresse au paysage sonore urbain et collecte une série d’enregistrements qui constituent la matière première de ce nouveau projet qu’on peut qualifier « d’environnemental » au sens ou l’entendait John Cage : quand la composition intègre la part du hasard liée aux évènements du réel captés dans leur indétermination et où disparaît la hiérarchie entre musique, bruit et silence. Mais loin de toute volonté d’effacement, le travail de Chadbourne table au contraire sur l’exubérance de l’accumulation et la complexité des jeux de pistes (“it actually sounds better with an open window and lots MORE noise coming in from outside”). Ainsi aux fragments de vie glanés dans la rue Harinpakker vient se greffer une multitude de parties instrumentales (dominance des sax free), extraits de disques et collages divers qui font de ce trip à Amsterdam un gigantesque happening, tantôt enivrant dans ses effets surréalistes, tantôt indigeste dans son indescriptible fatras et ses fréquentes longueurs. L’organisation des morceaux et la dynamique des changements rythmiques évoquent à la fois le chaos de la jungle urbaine et les syncopes de la musique dite « Jungle » (drum and bass). Les meilleurs moments (incroyable version explosée de « See Emily Play ») s’enchaînent sur le deuxième disque de cette double galette qui compile en fait les différentes cassettes (emballés à sa manière dans des paquets de gâteau !) produites sur une période de cinq ans. A consommer tout de même avec modération…
Emmanuel Girard

Préfigurant les enregistrements "ambient" de la série Horror, Jungle Cookies est une compilation de cassettes enregistrées par Chadbourne à Amsterdam, et conçues comme une série de documents sonores captés dans les rues ("music of the streets") superposant field recordings, saxophonistes et les filles du docteur imitant Madonna. Autre paramètre: la jungle, cette branche ultra rythmique de la techno, dont les palpitations et les crépitations ont fasciné le docteur au point qu'il ait voulu fabriquer sa propre jungle artisanale. Chad évoque la figure de Derek Bailey, le grand guitariste improvisateur anglais, auquel il rendait visite à domicile quand il était malade, et qui lui faisait écouter des radios jungle qui l'enthousiasmaient particulièrement, et sur les boucles desquelles, empoignant sa guitare, il brodait ses arabesques. Chad parle du disque que Bailey enregistra avec un DJ jungle, mais souligne que ces improvisations domestiques étaient supérieures, car spontanées, et le fruit d'une vraie ferveur. Tout est là: les Jungle cookies sont une tentative pour plonger dans la ferveur, dans le flux du quotidien, pour capter des instants de vérité pris dans la rue, des sons longs tissés derrière les butinations de premier plan des véhicules, pour entendre la vie couler derrière les phénomènes et leur joyeux désordre. On y entend donc, via des manipulations de vitesse de bande, des morceaux de techno préhistoriques absolument fascinants et des mélanges sonores intriguants, qu'on n'arrive pas à démêler, où on discerne parfois des fragments de disques détournés et des lambeaux d'orchestres, dont pléthore de saxophonistes amis du docteur. L'ensemble est hautement psychédélique, et tout sous-entendu tordu qui lierait ces bandes féériques à certaines licences qui régneraient à Amsterdam serait évidemment le fruit de la plus pure mauvaise foi.
Arnaud Le Gouëfflec

vendredi 16 avril 2010

DOC CHAD RETURNS ( 2009)

Une des pochettes les plus soignées de l'oeuvre du docteur (un peu de scotch, d'espiéglerie et du gros carton), pour un une collection de chansons de saison, sous la forme d'un disque à trois appendices: un tiers des morceaux ont été enregistrés avec Pink Bob, ingé son et vétéran de l'édition de CdR, l'autre tiers chez Scott Henderson, au Lap of luxury studio, et le dernier tiers par Chadbourne lui-même dans son ténébreux Psychad studio. Avec Adrift et The Island of Three shreeves, il forme un tout, les morceaux se répondant les uns les autres, dans des versions différentes. D'une certaine manière, ces trois disques documentent ce qu'a bricolé le Doc Chad en 2009, qui travaille visiblement sur du "in progress material", sans qu'on ait à attendre une date de sortie officielle et sans doute lointaine. Le docteur précise d'ailleurs: "The latest stuff with no delays!" Les morceaux ici représentés sont tous très bien enregistrés et vont de la méditation banjoïstique (Put me back in the river) au punk rock (Sword and Shield, avec Pink Bob à la basse et Brian Reedy à la batterie), en poussant jusqu'à l'apocalypse guitaristique (Wrestling woman, une tuerie). Un chouette disque de chansons (The ice song, Forgiven, The circle song...), qui reflète la vitalité et la capacité de renouvellement de Chadbourne à l'aube des années 10, que toutes les Cassandre du rock'n'roll nous prédisent particulièrement Chadbournesques.
ALG

REASON (2010)


Reason est donc le second volet du diptyque Reason/Treason, paru en 2010 sur le label Chadula. Ce disque est plus centré sur la guitare, dont Chadbourne se sert comme d'un prétexte pour greffer toutes sortes de tentacules à ses chansons hybrides. A noter: Un Song of mirrors réverbéré, où chadbourne s'amuse à se perdre dans une chanson en accordéon (attention, pas à l'accordéon). Une juxtaposition de questions sur Song of questions, sur laquelle plane l'ombre d'un point d'interrogation grésillant, avec des ailes, qui se cogne contre les parois du crâne. Song of regrets, longue diatribe de Robert Harris (le vieil homme qui bavarde un peu partout entre et sur les morceaux), qui évoque la mort de sa mère et sa décision de la maquiller pour qu'elle soit belle dans l'au-delà (un morceau franchement gai donc, débité d'une voix nasillarde et monocorde). Sur le punkoïde Something else i saw, Chadbourne s'amuse avec les possibilités de son home studio. Le non moins punkozoïdal Jesse's Desk est le seul titre à avoir été enregistré dans un vrai studio, par un vrai ingénieur du son, Scott Henderson (commentaire de Chad: "sea of shit in the lap of luxury studios"): ça n'empêche pas Chadbourne de massacrer à nouveau le sénateur Jesse Helms à coups de pelle et de lui démonter les molaires avec des percussions primitives jouées juste derrière les gencives, avant de lui déchausser le reste à coups de larsen. Il en profite pour astiquer sa guitare, la passer au sèche-linge et la battre avec une masse pour l'attendrir, sans que jamais Scott Henderson ne songe à couper les micros.
ALG

TREASON (2010)

Reason et Treason, selon le docteur lui-même, sont ses deux "major new studio productions" de 2010, tous frais démoulés de son studio psychad. Pas de live donc, mais des overdubs chadbournesques à gogo, brodés autour de chansons toutes nouvelles, qui constituent l'ossature des deux disques. Treason est censé être plutôt axé sur le banjo, tandis que Reason est plus franchement branché guitare. Mais comme Chadbourne se surenregistre un peu partout, il décalque des guitares sur les banjos, et inversement, et on ne sait plus où on est. Tant mieux: c'est le but.
On entend le docteur parasiter son instrument avec tout ce qui lui tombe sous la main, appeaux, trucs coincés dans les cordes du dobro ou de la guitare, bajo sexto, charango, baclamel, cjumbus, percussions non identifiées, et même un koto jouet. Le disque est constitué de longs morceaux méditatifs, mais enregistrés "in a weird style", histoire de troubler le miroir spirituel avec des moyens bizarres, comme quand on met les doigts dans la fondue savoyarde et qu'on s'effiloche ensuite de fil en aiguille, jusqu'à tout tricoter autour de soi. Le banjo s'impose comme la couleur primaire de Treason, même si sur Song of good Health, Chadbourne le massacre à la guitare électrique. A noter, une version hyper réverbérée d'Adrift, dont une version plus accessible (et qui servait mieux le propos, sans doute) se trouve sur le disque du même nom, paru en 2009. A noter aussi: une réjouissante Bird song, sur laquelle Chadbourne joue à saint François d'Assise parlant aux oiseaux, mais un saint François d'Assise modifié parlant à des oiseaux préparés. Ici et là sur le disque, un certain Robert Harris fait des commentaires, racontant sa vie (il est visiblement assez âgé) d'une voix de vieille brioche craquante. Au final, pas une des productions majeures du Docteur, mais une disque qui vaut par sa réjouissante brochette de nouvelles chansons.

ALG