mercredi 28 janvier 2009

INTERPETTO: THE JACK AND JIM SHOW IN JAPAN

PAIN PEN


Pullpipanpipaino / Painlipensiveros / Poolialoofair / Aposuniulivers / Upslinelivveros / Loveilairliveros / Leinileansveros / Oanseeaviears / Pallipaleipunop / Ourlilesiallana.

EC : electric guitar, banjo/Joe Morris : electric guitar/Susie Ibarra : drums and percussion/Mark Dresser : contrabass
Réunion ponctuelle mais marquante de quatre d'improvisateurs au pouvoir magique capable de produire la haute sensation d'un présent dilaté, l'expérience rare d'une immersion intime dans l'écoulement de la durée musicalement concentrée. C'est "ici et maintenant" que tout se joue, par l'intuition de quatre voix entrelacées tissant sur le vif des textures changeantes selon le fil des interactions, se déployant ad libitum. Un processus somme toute normal pour le commun des improvisateurs, mais qui dans cet enregistrement, atteint un degré d'intensité peu banal. L'alchimie demeure fragile et ne tient souvent qu'à un fil que ne doit pas perdre l'auditeur mis à l'épreuve d'une écoute forcément exigeante.


Emmanuel Girard

BLOTTER LSD C&W


Blotter veut dire buvard. Tout est dit. Eugene Chadbourne décline ici sa veine Country & Western au LSD, c'est à dire qu'il malaxe, mâche et restitue de vénérables morceaux country qui ont tout fondu, tout gondolé, tout lysergisé, et qui tiennent pourtant encore debout, par quelque curieux phénomène d'agglutination et de déglutination (si j'ose dire). Car, vraiment, les guitares sont démantibulées, la batterie concassée, le banjo éviscéré, et les musiciens (fort nombreux et différents d'un titre à l'autre) ont visiblement abusé de quelque chose au moins une fois dans leur vie (sans parler de LSD, le traditionnel buvard à encre en a peut-être traumatisé plus d'un). Les couplets ont déteint sur les refrains, les solos pétaradent dans la fondue savoyarde, et des êtres anormaux, comme Fidel Casio et Ravi Chadbourne, sont crédités. Les chansons sont essentiellement des reprises, même si Chadbourne nous livre ici ou là une composition de son cru, comme ce Dog song chantée par des vrais chiens (!), et l'album glisse lentement, mais lysergiquement, du C & W au rock sixties garage (une reprise des Amboy Dukes, une d'Eric Burdon, avec un son "salle de répète" assez velu). On retrouve quelques extraits des célèbres conversations cibistes (donnez une Cibi au docteur Chadbourne, il en fera un disque), qu'Eugene a cru bon d'avoir avec des routiers américains (largement développées sur You are in bear country), notamment le fameux: "Ronald Reagan is a communist, he's part of the communist conspiracy right now!". Enfin, Eugene Chadbourne peut prétendre au titre envié et inédit de premier musicien au monde à avoir mixé dans une chanson Your song d'Elton John et le thème de la famille Pierrafeu (Your song ruby flintstones).
Arnaud Le Gouëfflec



mardi 20 janvier 2009

INTERMEZZO

KULTURAL TERRORISM - AVEC JON ROSE

KULTURAL TERRORISM
Dossier ST 7551 Lp
1987
1st chair / 2nd chair / 3rd chair / 4th chair / 5th chair / 6th chair / 7th chair / 8th chair / 9th chair / 10th chair / 1st bed (EC/JR).
EC : acoustic guitar, lap steel guitar, fender plunger, harmonica, classical guitar, electric guitar, voice
Jon Rose : acoustic violin, 19 string cello, 10 string double violin, recently restored megaphone violin, piano forte, voice
Figure incontournable de la free music, instrumentiste surdoué et concepteur prolifique à l'imagination foisonnante, l'australien Jon Rose fait partie de ces artistes dont l'œuvre se nourrit de sa propre réflexion, par un jeu de mise en abîme qui offre différents niveaux de lecture. L'ensemble de son travail (dans ce qu'il nomme « The Relative Violin ») constitue une approche encyclopédique critique de l'instrument violon, objet porteur de symboles, disséqué et manipulé à toutes les sauces : musicologique, historique, sociale, économique, politique, physique, voire sportive !… et dans de multiples contextes : improvisation jusque-boutiste, pièces radiophoniques, réseaux multimédia, exploration de nouvelles techniques instrumentales comprenant l'usage de l'informatique, fabrication d'instruments hybrides, etc. Comme chez Chadbourne, son œuvre affranchie des barrières de classifications fait la part belle à l'humour, à l'art du détournement ou de l'éclatement en apparence irraisonné des formes, décomposées pour mieux renaître.
Déjà associés au sein du Relative Band, entreprise collective free (justement crée par Jon Rose) au personnel sans cesse changeant (entre autres : Rik Rue Jim Denley, David Moss, Roger Turner, Maggie Nicols, Luc Houtkamp, Marcel Cuypers, Greg Goodman, Henry Kaiser, …) les deux hommes multiplient les collaborations entre 1985 et 1987 (Country Music Of Southeastern Australia, 198666, Violin Music For Restaurants, Forward of Short Legs).
Cet album à la confluence de leurs talents généreux fait la part belle à l'authentique improvisation, celle qui refuse de s'enfermer dans une catégorie, ou chaque style est considéré comme un vecteur d'expression viable ou utilisé à la manière d'un ready-made, intégrant le hasard au processus créatif. Regorgeant de citations et de clins d'oeil (jazz, musique «contemporaine », cajun ou militaire, country & western, bruitisme...) leur musique organisée en festival orgiaque est un bras d'honneur aux conventions, un terrorisme culturel version Dada plutôt qu'Alkaida !
Un album proche d'esprit et aussi unique et excitant que ceux avec Polly Bradfield (Torture Time) ou Toshinori Kondo (Possibilities of The Colour Plastic).
Notons qu'il existe deux pochettes différentes, la première détournant un disque Deutsche Grammophon ayant été remplacée par une seconde version débarrassée de cette référence (« 2nd sleeve design (legalised version) (…) with special thanks to the lawyers »). Pas de réédition à ce jour malheureusement.

Emmanuel Girard

INSECT AND WESTERN BOX



En 2008, le docteur décide de compiler ses travaux insectophiles dans un coffret, vendu via son site http://www.eugenechadbourne.com/. L'ensemble est fait main, rempli de partitions étranges, annotées et modifiées (rectifiées) par Eugene, et contient 8 disques:

- Insect and Western attracter (version CD sortie chez Leo records)

- Worms with strings (idem)

- Beauty and the bloodsucker (idem)

- The butterfly garden (Version CDR, pochette faite-main, paru chez House of Chadula - 2 CDRs)

- Sacred Insects of ancient egypt (idem - 1 CDR)

- Bedbugs (Idem)

- un disque d'inédits, Insects and other arthropods activity book (idem).

L'objet est unique en son genre, et permet de mettre en perpective toutes ces années de travail de composition autour des insectes. Malheureusement, on n'y trouve pas le fabuleux Insect and Western party. Mais sans doute Eugene n'a -t-il pas dit son dernier mot... On attend un deuxième coffret pour... 2012? Tous les disques du coffret sont déjà chroniqués sur ce blog.

A.LG








INSECTS AND OTHER ARTHROPODS ACTIVITY BOOK



Ce disque, sorte d'appendice à la réjouissante série des Insect and western, est réservé aux fortunés acheteurs du coffret Insect and Western Box, et complète les 7 autres CDs à l'aide d'inédits: The cricket in my life, d'abord, tout craquetant et frétillant, notamment grâce aux gribouillis électroniques de Martin Klapper (oui, ce Martin Klapper là) et Michael Jackson (l'autre), qui pétaradent et bipent de concert, tandis que le hautbois de Carrie Shull et le cor de David Doyle paradent majestueusement au-dessus de la poêle à frire (c'est une version inédite, je crois, en tous cas différente de la cassette du même nom). Puis The intellectual and Emotionnal World of the cockroach (même remarque), où le piano de Stephanie Rearick, notamment, brode des tapisseries, mais l'ensemble nous paraît moins convaincant, car moins homogène. Puis le docteur nous offre une nouvelle version de Worms with strings, très différente de l'originale, avec de singulières envolées country. Enfin, un orchestre constitué de musiciens français propose une version workshop, sans Eugene, de ses Sacred insects of ancient egypt: si l'on compare cette version à l'originale, on verra que le travail de composition du docteur est moins de figer le morceau sur le papier que de distribuer les rôles et de créer les conditions pour que les insectes (donc les musiciens) s'expriment en liberté. Eugene Chadbourne, avec les Insect series, compose des pièces improvisées. Et nous laisse méditer ce paradoxe.

Arnaud Le Gouëfflec

samedi 17 janvier 2009

INTERLUDE


TORTURE TIME - With POLLY BRADFIELD - 1981


TORTURE TIME (en duo avec Polly Bradfield)
1981 - Parachute P-016
side A : 20:10
side B : 15:04
Logos Studio, Gent, Belgium, on april 2, 1981
EC and PB : strings

Nouvelle rencontre - cette fois en duo - prolongeant la collaboration avec la fidèle violoniste, participante régulière des travaux avec Centazzo (Environment for sextet, Concert Usa East) et Zorn (300 Statues et The Parachute Years) pour ces longues improvisations sans filets, captées en live, à rapprocher des Possibilities of the colour plastic avec Toshinori Kondo et du Kultural Terrorism avec Jon Rose.
Amoureux transis d'André Rieu et amateur de sensations fortes à la Francis Cabrel, fuyez pendant qu'il est encore temps ou préparez vous à subir les sévices infligés lors de ces réjouissantes séances de maltraitances instrumentales. Qu'on se rassure, rien d'insoutenable dans cette mise à l'épreuve mais un malin plaisir à abîmer les bois et les cordes pour bousculer nos habitudes et notre confort d'écoute par de magnifiques « dérangements » musicaux produits d'un art positivement dégénéré et jouissif. Cette drôle de cuisine a pour ustensiles des instruments plutôt transformés en crécelle qu'utilisés dans leur registre habituel, si bien que l'on est surpris d'entendre parfois quelques phrases « normales » de dobro qui surgissent ici ou la. L'exploitation de la mécanique des instruments et de leur matière est délectable et apporte une preuve supplémentaire (comme si c'était encore nécessaire !) que la musique peut aussi s'épanouir dans l'univers des bruits et des déformations « monstrueuses » : râles, plaintes et gémissements, déchirements (en fin de la face A), triturations, crissements (une deuxième face spécialement abrasive), cliquetis de toute sorte, mais aussi des séquences plus calmes ponctuées de silences (proche des duos avec Zorn) objets divers ou ballons frottés, boite à musique et pédales d'effets.
On l'aura compris c'est loin d'être un album austère, même si la part d'humour est cette fois moins évidente ou mise en avant. Une réédition avec du matériel inédit serait la bienvenue !
Emmanuel Girard


BEDBUGS - 2000

Une des pièces maîtresses du coffret Insect and Western, les Bedbugs (les punaises, hé oui) est une suite en trois parties, et une franche réussite dans le genre petit orchestre de jazz jouant des mandibules et déclinant une conception vibratile et kaléidoscopique de la musique de chambre. Ici, c'est un septet, qui nous plonge à nouveau dans d'épaisses méditations articulées, avec des antennes étoilées branchées sur les fréquences yogiques. Quelques faux départs rock, be-bop, funk retombent vite dans les aléas de la fourmilière. Une musique construite, très jazz, assez écrite sans doute, qui déploie des organes invisibles, et dévoile petit à petit sa queue de paon. Le résultat est somptueux, à conseiller aux nouveaux entomologistes égarés dans la termitière chadbournienne: la qualité sonore, l'écoute et la réactivité exceptionnelles des musiciens, l'heureux mélange d'un trombone, d'une trompette, de saxophones et de clarinettes, l'équilibre entre écriture et improvisation et l'apaisante impression d'ensemble, cet étonnant phénomène méditatif, ici particulièrement sensible, font de ce paquet de punaises un des musts de l'oeuvre insectovore/insectophobophile du docteur.
Arnaud Le Gouëfflec






samedi 10 janvier 2009

vendredi 9 janvier 2009

BEAUTY AND THE BLOODSUCKER

BEAUTY AND THE BLOODSUCKER Leo Cd LR 270
Nymphialiadae / Danadiae / Mexican Yellow / Buckeye / Clodius Parnassus / Long Dash Skipper / Tick Talk Flea Mart / Lacewing Invasion of Nova Scotia / Reward / Paris Swallowtail / Danadiae / Hesperidae / Papilonidae / Ithomia-Like Metal Mark / Mexican Yellow/Tick Talk Flea Mart.
EC : acoustic and electric guitar, dobro, 5-string banjoAshley Adams : contrabassEllery Eskelin : tenor saxLyn Johnston : contrabass clarinetJeff Kaiser : trumpet and euphoniumCarla Kihlstedt : violinRob Mallard : tenor sax, fluteJacques Palinckx : electric guitarDan Plonsey : tenor, alto and soprano sax, Bb and Eb clarinets, stunt oboeGarth Powell : percussionBrian Ritchie : acoustic bass guitar, miscellenous instrumentsGino Robair : percussionCarrie Shull : oboeLukas Simonis : electric guitarsJeff Sipes : percussionLeonis Soybelman : amplified classic guitar
Beauty and the Bloodsucker fait partie des Insect et Western series. Là encore, sur ce disque, il est question de The Butterfly garden, pièce prévue au départ pour des orchestres universitaires (sic), mais que Chadbourne juge plus raisonnable d'interpréter avec des petits ensemble de jazz. 1998, "l'année du papillon" selon lui: dans le livret, le docteur explique que cette année-là, il trimbalait partout les partitions de Butterfly garden, à la recherche de complices pour interpréter ces morceaux vrombissants et ailés. Et la liste des musiciens présents sur le disque est plutôt réjouissante. Les titres ont un pied dans le jazz, dans le be-bop, un autre dans le rock, un autre ( ce sont des polypodes) dans le country ou le blue-grass, et même le thrash metal. Ainsi, Nymphialiadae est-il franchement jazz, tandis que Danadiae (deux versions ici) nous plonge dans une méditation un peu moins florale. Sur Reward, le hautbois ensorcelé de Carrie Shull (insecte rare) fait merveille. Sur Paris swallowtail, le groupe médite et nettoie ses mandibules sur fond de vieux 78 tours lointains (Edith Piaf?). Sur Papilonidae, le docteur nous rappelle que tout, même les papillons, est yoga: les instruments s'égrenent comme des chapelets. Sur Ithomia-like Metal Mark, la "heavy-metal connection" se traduit par des divagations autour de solos inspirés par le monde merveilleux du hard-rock, traversées de fulgurances free.

Arnaud Le Gouëfflec

Les insectes sont-ils nos amis ? Question centrale soulevée cette fois dans le cadre entomologiste de ce quatrième volume labellisé Insect and Western ou les frêles créatures (« Beauty ») passent généralement un mauvais quart d'heure (« Bloodsucker !"). Une vie mouvementée mise en scène en concerts et captée entre 1997 et 1999, où Chadbourne s'entoure de nombreux nouveaux collaborateurs. Comme parfois dans la série, le résultat s'avère inégal, illustrant en l'occurrence l'exemple type d'un concept souvent plus intéressant que sa réalisation. Le plaisir est de plus gâché par une qualité d'enregistrement médiocre qui ne met pas en valeur le travail des musiciens. Ajoutons à cela des ambiances flippantes et une thématique (volontairement) peu aimable, qui réclame l'adhésion préalable de l'auditeur, et l'on obtient une musique tendue et exigeante qui ne fait rien pour séduire. L'album offre cependant de la richesse et de la diversité. "Nymphialiadae" esquisse des figures tordues à la Monk, grâce à la basse dégingandée de Brian Ritchie (échappé des Violent Femmes) et le sax véloce d'Ellery Eskelin, gratifiés d'un excellent et très soutenu solo du maître himself. "Danadiae" est un duo inédit entre la guitare hachée de Chadbourne et le jeu de violon typé « musique contemporaine » de la remarquable Carla Kihlstedt (membre du Tin Hat Trio). "Mexican Yellow" bénéficie des additions en studio de l'assistant Vitus Verdegast (alias Doc Chad), histoire de créer la confusion. "Buckeye" débute dans un style très Shockabilly, avec à nouveau l'ajout de couches supplémentaires formant un joyeux bordel. "Clodius Parnassus" et "Long Dash Skipper" sont des pièces écrites décevantes car interprétées sans l'enthousiasme nécessaire. Autre partition avec «Tick Talk Flea Mart », plus dynamique sous l'impulsion d'un combo jazz qui sait varier les mouvements autour du fil conducteur de la guitare. "Lacewing Invasion» et «Reward» présentent un trio au fort potentiel et à la formule originale (banjo, contrebasse et hautbois) qui sonne à merveille. Le trop long et morbide « Paris Swallowtail » juxtapose maladroitement guitare déprimante et vieux airs de chanson française (notamment « la vie en rose » (?). La reprise de «Danadiae» qui mêle en surimpression plusieurs versions issues de différents groupes, n'est pas non plus très gaie. « Hesperidae » est un cour prélude à « Papilonidae », bon thème concis avec des touches de guitare à la Syd Barrett période rose. « Ithomia-Like Metal sMark » vire au massacre sanglant comme promis. Enfin « Mexican Yellow/Tick Talk Flea Mart », sans doute le meilleur moment de l'album, ou on retrouve un climat déjanté à la Chadbourne Baptist church.

Emmanuel Girard

THE BUTTERFLY GARDEN

THE BUTTERFLY GARDEN
Mexican yellow (EC) / Clodius Parnassius (EC) / Paris Swallowtail (EC) / Nymphaliadae (EC) / Blue-strined Sripper (EC) / Papilonidae (EC) / Buckeye/Long Dash Skipper (EC) / Peacock (EC) / Ithomia-like MetalMark (EC) / Danaidae (EC) / Satyridae (EC) / Hesperimae (EC) / Riodinae (EC) Silvery blue (EC) / Mourning Cloak (EC) / Regal frittery (EC) Peacock (EC) / Californian Dogface (EC).
EC : electric guitarMark Southerland : reeds, homade instruments, electronicsMike Dillon : drums, tablas, vibraphoneJohnny Hamill : contrabassMichael Vatcher : drumsWilbert De Joode : contrabassTobias Delius : tenor saxophone, clarinet

Chapitre supplémentaire traitant des lépidopères (après Beauty and the Bloodsucker), contenu dans un double album enregistré lors du Chadfest de 2007, et partie intégrante du coffret Insect & Western. Le premier disque fait état d'observations en solo, sous forme de plongée empathique pénétrant la psyché profonde de ces créatures affairées à trouver de la nourriture ou un partenaire pour s'accoupler, défendant leur territoire et fuyant d'éventuels prédateurs. Tout un programme pour de l'improvisation "à thème", utilisant différents modes pour rendre compte des aléas d'une vie courte et tourmentée. Intensément concentré dans la narration de ces figures abstraites, Chadbourne livre ici selon moi un de ses travaux les plus convaincants. La deuxième partie traite des mêmes sujets en proposant des versions jouées par un septet formé d'un double trio rassemblant les Malachy Paper et, pour la première fois, les Hollandais Tobias Delius, Wilbert De Joode et Michael Vatcher (batteur des fameux Roof et 4 walls) auquels se joint le guitariste. Alors qu'on pouvait s'attendre à une simple jam organisée autour d'une idée prétexte, on assiste béat à un captivant travail de groupe sérieusement impliqué dans un projet révélant par là toute sa force et sa cohérence. Les musiciens développent des histoires exubérantes pleines de détails et de rebondissements tandis que la construction des morceaux est plus évidente, marquée de ruptures et de changements de rythmes, laissant toujours la part belle à l'improvisation et la personnalité de chacun, ouvrant la possibilité de multiples palettes expressives. Certains passages rappellent les contrastes de l'Out to Lunch d'Eric Dolphy (scansion abrupte du rythme, décalages maitrisés, touches de vibraphone de Mat Dillon) et égalent surtout les meilleurs moments d'Hellington Country, un des plus enthousiasmants groupes de Chadbourne.
90 minutes exaltantes et sans répit qui à elles seules justifient l'achat du coffret.

Emmanuel Girard

Le jardin des papillons est un nouveau volet de l'oeuvre entomologique du Docteur Chadbourne. Les Insect et Western series sont constituées de pièces "sérieuses", composées et interprétées par le docteur et des orchestres à géométrie variable. Ici, un disque est consacré à une interprétation solo de la suite Butterfly garden, enregistré en 2006 à The Stone à New-York, et le second à une version en septet (avec des membres des Malachy Paper notamment) interprétée sur scène à Vandoeuvre lès Nancy, la même année, lors du Festival Musique Action. On passe et repasse ainsi d'une version sobre et méditative à une orchestration foisonnante et chaleureuse, et vice-versa, ce qui permet de mieux cerner le travail de composition. Les titres (des noms de papillons) sont dans leur majorité aussi présents sur Beauty and the bloodsucker, mais on trouve ici quelques specimen inédits: le Mourning cloak, le Silvery blue, le Riodinae, etc... Le jazz papillonesque est ici strié de couleurs venues des différents mondes musicaux arpentés par le docteur: rock, punk, country and western, etc... C'est qu'on voyage quand on chasse le papillon. Mention spéciale à la version solo: la guitare de Chadbourne retrouve alors sa vibration première, le papillon est épuré jusqu'à l'os, et la musique plonge l'auditeur dans la méditation.


Arnaud Le Gouëfflec

ANY OTHER SUGGESTIONS?


ANY OTHER SUGGESTIONS ?
Grob .009
House of Chadula 1998A
The Song Is You (J.Kern) / Jukebox Charlie (Aubrey Mayhew/Johnny Paycheck) / Peggy's Blue Skylight (C.Mingus) / Boogie on the Ferry (EC) / The Porthole (EC) / Conrad Escapes from Straight-Jacket (Conrad Kinton) / The Plunger (EC) / I'm Walked Bud (T.Monk) / Rollin' Stone (M. Morganfield) / Documentary (anonymous) / Loser's Coktail (EC) / The Pusher (EC) / Foxhunt / The Rake.
EC : guitars, banjo, vocal, rake, plunger, porthole, harmonica,
Bien que disposant d'archives qu'on imagine colossales, à proportion de sa discographie, Chadbourne réservait plutôt l'édition de son matériel live aux productions sur cassettes. Avant la création de son label autoproduit House of Chadula, rares étaient les albums compilant uniquement des extraits de concerts, tel ce CD-R paru à l'origine en tirage limité (100 ex.) sur le label allemand Grob, alors acteur majeur dans la diffusion des musiques improvisées. Bien que rassemblant sans plus d'indications des enregistrements s'étalant sur une période de 15 ans, l'ensemble reste malgré tout cohérent. La variété du programme est à l'image des multiples approches qui forment l'étendue de sa palette. Intimité avec le jazz, dans une délicate interprétation de standard dont il a le secret, avec sa voix approximative mais touchante dans l'approche de la mélodie, et un phrasé de guitare impeccable, superbement articulé avec des touches beebop virtuoses typiques de son style et immédiatement reconnaissables. Egalement une reprise caricaturale de Mingus ou les traits sont délibérément exagérés, se prolongeant dans un style vocal évoquant les joutes avec Eric Dolphy pendant la tournée européenne de 1964. De même il met intelligemment en perspective certains angles de la musique de Monk, sous les abords approximatifs de I'm Walked Bud. Il ne résiste pas encore au détournement de la Country, prétexte à excentricités guitaristiques et vocales (l'hilarant Loser's Coktail), ou revient à l'impro de ses débuts, période guitar solos, mélangeant acrobaties et frottements bruitistes, sans oublier les démonstrations de boucan industriel, épouvantables et/ou jubilatoires (selon le point de vue) à l'aide de ses fameux instruments fait maison triturés jusqu'au paroxysme hyperfree (The Plunger, The Porhole, une « jolie » pièce de râteau électrique). Il se plait comme souvent à jouer avec le public (Escapes from Straight-Jacket), à mettre un cheveu dans la soupe (l'apparition incongrue d'un extrait de documentaire) et décocher un final époustouflant au banjo. Chadbourne n'imite pas mais digère les styles pour mieux en extraire la moelle expressive, à l'image du blues Rollin' Stone, qui sonne un peu comme une outtake d'Electric Ladyland. The Pusher ferait lui plutôt penser à un Johnny Cash sous acide ! Voilà un très bon album qui présente un échantillon représentatif de ses exploits et constitue à ce titre une introduction pertinente à son travail en solo.


Emmanuel Girard